Grâce au financement de la Région, 11 élèves du lycée Tocqueville se sont rendus durant 5 jours à Avignon pour participer au plus grand festival de théâtre d’Europe. Ils ont pu assister à de nombreuses représentations, découvrir des formes très diverses de spectacle vivant et vivre la vie festive et stimulante du festivalier. Fatigant mais enrichissant…
En témoignage de ce séjour, nous vous proposons une courte nouvelle inventée par l’une des participants. De quoi vous donner envie d’aller à votre tour en Avignon : rendez-vous en juillet 2018…

Avignon d’hier et d’aujourd’hui.

 

1947 en Avignon. 

  Isabelle Robin est une jeune Française de 25 ans quand elle assiste au premier festival d’Avignon. Elle se souvient de cette année de 1947 où la guerre se dissipait doucement, où un vent nouveau venait bercer sa douce France. Elle se souvient de cette ville, où elle a grandi et qui fut détruite par la guerre. C’est en vagabondant, à bicyclette dans les ruelles pavées de sa ville qu’elle était tombée sur un jeune homme distribuant des tracts. Intriguée, Isabelle était  descendue de sa bicyclette et s’était approchée du garçon qui interpelait tous les passants dans l’allée. Le tour de la jeune femme arriva et le garçon lui donna avec un grand sourire le morceau de papier en lui disant :

 « Bonjour madame, dans une semaine se tiendra au palais des Papes plusieurs représentations théâtrales, vous devez juste payer votre place avant d’assister au spectacle : vous ne serez pas déçue ! »

 Isabelle rangea alors le papier dans son vieux sac de cuir et repartit chez elle. Toute la semaine qui précéda la représentation, Isabelle n’entendit parler que de ça, de partout, chez son coiffeur en passant par son boucher, son épicier ou bien son boulanger. Cela avait donné de la vie à Avignon, dans les rues, tout le monde parlait plus fort, riait à gorge déployée, chantait « Liberté » de Charles Trenet bras dessus, bras dessous. 

Le soir de la représentation, Isabelle se prépara, mit sa plus belle robe et se coiffa en circonstances. Puis elle regarda une dernière fois le papier posé sur sa table de chevet, avec un léger sourire au coin des lèvres, avant de partir dans les ruelles pour aller à cette fameuse représentation.

Les femmes faisaient tournoyer leurs robes aux couleurs de ciel et de fleur en se trémoussant sur la musique que tout le monde fredonnait. Les hommes quant à eux, avec leurs chemises à carreaux encadrées par leurs bretelles, claquaient des doigts ou sifflaient l’air de musique. Isabelle sentait le vent chaud de l’été lui caresser le visage et faire s’envoler les quelques mèches qu’elle n’avait pas attachées ici et là. Devant le Palais des Papes une fourmilière se dessine bloquant l’entrée principale. Isabelle parvient après une légère attente à rentrer dans cette cour majestueuse où une scène est aménagée pour l’occasion. Le spectacle commence … 

En sortant, les réactions ne se font pas attendre.  Les gens autour de la jeune femme expriment leurs opinions. Un groupe de personnes, devant elle, déclare ne pas avoir du tout apprécié le spectacle tandis qu’à la droite d’Isabelle un autre groupe a l’air de plutôt bien avoir aimé les représentations proposées. Quant à  Isabelle, elle était subjuguée par ce que dégageaient les acteurs, par la vie dans leurs jeux. Elle rentra alors chez elle, des rêves plein la tête. 
 

2017 en Avignon. 

Nous voilà 70 ans plus tard, Isabelle Robin est à présent une vielle dame de 95 ans. Le temps a fait apparaitre des rides sur son front et du gris a recouvert le roux de ses cheveux. Depuis 1947, Isabelle est venue à presque tous les festivals d’Avignon. Elle y a emmené ses enfants et ses petits-enfants. Mais aujourd’hui, étant trop vieille, elle laisse sa place à sa petite fille, Christine, en lui offrant quelques sous pour qu’elle puisse assister à une certaine quantité de spectacles. C’est une sorte de tradition dans la famille. Les petits enfants passent une semaine chez leur grand-mère en Avignon et assistent à des spectacles. Et avec leur grand-mère, une fois rentrés, ils expriment leur ressenti sur ce qu’ils ont vu. 
Christine marche dans les pas de sa grand-mère, dans les ruelles pavées. Elle n’a pas de bicyclette mais un MP3 et  écoute sa musique. Les rues sont remplies de personnes venant d’un peu partout, un torrent humain déferle sur la rue principale menant à la place de l’horloge. Ce n’est plus un jeune homme qui distribue des tracts mais des dizaines et des dizaines. C’est à qui sera le plus extravagant, le plus intriguant. Certaines personnes viennent voir la jeune fille déguisées, d’autres viennent en jouant la comédie : c’est une véritable palette  de personnes de toute ethnie et de tout genre qui viennent lui donner pourtant un simple bout de papier. Tout est tapissé de pancartes de spectacles en tout genre, sur les murs, sur les grillages, sur les poteaux, absolument partout. Mais il y a une chose qui n’a pas changé : cette vie se dégageant de cette ville en période estivale. Maintenant des spectacles ont lieu à même les rues : des chanteurs, danseurs, musiciens, peintres nous invitent pour quelques minutes dans leurs univers. Christine va quant à elle se diriger vers le Palais des Papes pour voir une représentation : Antigone . 
Au pied du palais une longue file d’attente bloque l’entrée. Dans cette file des jeunes de l’âge de Christine, des adultes, des vieillards : encore une fois cette mixité surprend la jeune fille. Elle rentre enfin dans la cour, devant elle une scène inondée et des acteurs marchent sans que l’eau ne bouge.  Puis la nuit tombe et le spectacle commence. Un savant mélange entre du théâtre traditionnel japonais, des ombres, de la danse et de la musique. Une réelle évolution du théâtre attire de plus en plus de personnes, mais pourquoi pas de plus en plus de jeunes ? 
Christine rentre chez elle après la représentation. Elle marche, dans le clair-obscur de la ruelle menant à l’appartement de sa grand-mère qui l’attend. Et c’est après une longue discussion sur le canapé du salon avec elle que Christine va se coucher. 
Et tout comme Isabelle 70 ans plus tôt, Christine s’endormit avec des rêves plein la tête.  
 
 
Célia Guccerelli  (1ES1)